Fossile d’un futur probable

La sculpture ou le corps plastique est mémoire, trace, signe de l’évènement ou de la chose à venir. Fossile d’un futur probable dont les métamorphoses (c’est à dire les transformations successives de l’empreinte initiale) sont filtres. Filtres par lesquels la lumière se propage et propose de nouveaux reliefs, par lesquels elle est redirigée et redigérée. Ainsi devenue éclairage elle reconstitue les élans et les formes d’espaces à travers les variations du temps. Notre histoire est une sédimentation de projections successives depuis les premiers dépôts marins jusqu’à la surexposition de nos instantanés digitaux. Le temps ne se déroule pas mais s’amoncelle, crée un tissus de strates, de connexions d’instants et de distances variés. Humus en vacarme, les constructions que nous façonnons, les matériaux que nous inventons sont des épaisseurs grouillantes et filtrantes. Leur assemblage dans l’espace, leur développement dans la durée, leur fusion dans la mémoire filtrent le regard et la conscience selon l’incidence d’une approche ondulatoire, à travers détours, retours, élancées, retombées telle une coloration spatiale qui serait soumise à des pressions atmosphériques.


Sédimentation des regards en dépôt, formulation aliénée à son histoire propre et son désir de liberté, la sculpture est arc de tension entre son origine et son émancipation. La sculpture est partout, elle glisse entre les blocs de la réalité, par les anfractuosités de notre monde organisé. Elle le colore et le soulève à lui même.
Il y a eu la sculpture qui faisait bloc, qui se présentait en tant qu’essence du monde selon le modèle de la graine qui germe, s’érige, qui parfois explose dans toutes les directions… Il y a eu la sculpture qui fait dépôt de ses matières, de ses strates, qui à partir d’une parcelle du monde évoque une autre étendue… On pourrait parler aussi de la sculpture qui fait lien, dessine les interrelations entre les corps, en souligne des zones sensibles… La sculpture est avant tout geste, intention qui détermine un foyer, une énergie.
Ce qui m’intéresse d’un espace est sa fluidité pour m’installer dans son élasticité temporelle, participer de ses courants parmi lesquels s’opèrent des glissements de masses considérables, même infimes de l’ordre de la vibration. Les parties dites « vides » ou plus justement « libres » entre les objets constituant un espace, le font respirer et par ses limites le mettent en tension, le font gonfler. Ces espaces-entre sont des entités qui agissent comme des aimants sur les formes. Ils bouillonnent d’activité et font lien pour révéler des rapports d’échelle plus souples et variés entre les objets eux-même et l’environnement. S’installe alors une rythmique de résonances entre le corps-objet et le lieu où il s’inscrit.
Je ne recherche pas l’objet-sculpture en tant que tel mais les mouvements d’un organe-univers dont les pulsations font glisser les énergies suivant les flux d’une architecture fluide et organique de l’espace. Une sorte de magma du signe et de la présence sculpturale mêlés, qui s’anime selon les fréquences projetées en écho dans l’espace de l’entre-deux.

Lionel Chalaye

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